Quoi de plus merveilleux que le tableau de la famille rassemblée chaque fin d’année pour les grands dîners de fête ? Mais chaque fois, revient la même question : quel menu ? La dinde ou le poisson ? Le foie gras ou les huîtres ? La bûche ou les pommes d’amour ? C’est une angoisse dans toutes les familles françaises.
Aussi, cette année, LÀ-BAS vous suggère quelques recettes originales autour d’un plat de plus en plus recherché : le riche. À la broche, à l’étouffée ou en tartare, il fait la joie des tables de fête, il pétille dans les yeux des petits et des grands.
D’autant qu’il est particulièrement abondant cette année. Jamais le riche n’a été aussi riche en France. Toujours bien nourri de bons produits bio sans OGM, élevé en plein air, bien entretenu grâce à la marche et le vélo, c’est un produit à la fois ferme et sain. Reste à choisir la région d’origine, le genre et l’âge. Si le riche de Neuilly n’a pas la saveur méditerranéenne du riche de Menton, sa texture est à la fois plus ferme et plus fondante. Entre gourmet, il y a débat, mais disons-le, c’est le petit riche qui fait l’unanimité.
Le petit riche élevé sous la mère se cuisine traditionnellement comme le cochon de lait. Hélas la crise démographique en fait un produit plus rare et donc plus coûteux pour le traditionnel repas de Noël où il est présenté dans la crèche sur un lit de petites patates, ail et persil pour la plus grande joie des petits et des grands.

Au plan démographique, les pauvres sont toujours infiniment plus nombreux que les riches. Aussi faut-il profiter de l’augmentation du nombre de riches. En vingt ans, le revenu annuel des 40 700 ménages français les plus riches a doublé [1]. Cette année, l’écart avec le reste des Français est sans précédent. La fiscalité n’a fait qu’augmenter le mouvement en leur faveur. En 2003, les hauts revenus gagnaient déjà en moyenne 95 fois plus que les plus modestes mais en 2022 ils ont gagné 167 fois plus [2] ! Donc les revenus modestes ont augmenté cinq fois moins vite en vingt ans. En outre, en 2023, le taux de pauvreté a atteint 15,4 %, son plus haut niveau depuis 1996, soit 650 000 de plus en une année, la progression la plus forte depuis trente ans [3].
Ces chiffres sont connus, chacun en est informé, mais bien peu s’en indignent. C’est la victoire historique des riches que d’avoir réussi à faire accepter sans révolte de si éclatantes inégalités. L’appareil politique et législatif qu’ils ont édifié de longue date en leur faveur, accompagné du puissant système intello-médiatique qu’ils financent et qui leur est largement acquis, sont les armes qui leur ont permis de désamorcer toute contestation et tout désir d’alternative.
On voit encore fréquemment des banderoles, des casquettes et des T-shirts avec les quatre lettres « MDER », symbole du vaste mouvement de propagande qui a conduit à la fière affirmation de cette résignation : MDER, mon dressage est réussi.
Bref, on le voit, le riche est notre meilleur fleuron et c’est un fleuron français !
Aussi, pour ces fêtes qui approchent, voici quelques « modestes propositions ».
Prenons la traditionnelle « tête de patron sauce gribiche ». Plat jadis emblématique des milieux populaires, il est apprécié aujourd’hui par tous.

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Pour huit personnes
Désosser la tête du patron et la rouler sur elle-même, puis la ficeler. On peut mettre les yeux à part pour les pocher en meurette, de même que la langue qui se cuisine comme une langue de bœuf avec une sauce aux câpres. Un « amuse-gueule » toujours apprécié.
Dans une grande marmite, poser la tête du patron avec le gros sel, recouvrir d’eau et porter à ébullition après l’avoir tondue et rasée. Écumer régulièrement. Ajouter oignons, carottes, aromates, poivre en grains, clous de girofle, bouquet garni. Cuisson : prévoir deux heures.
Accompagnée d’une sauce gribiche, cette recette enchantera vos convives. Elle se savoure à l’issue d’une manifestation ou lors d’une occupation d’usine mais elle fait aussi un chaleureux repas de fête en famille. N’oubliez pas la petite branche de persil dans le nez du patron.

En règle générale, en rôti comme en côtelettes, en rillettes ou en rognons, le bourgeois se cuisine comme le cochon. N’importe quel anthropophage vous le dira : » Dans le cochon tout est bon, dans le bourgeois tout est joie « . C’est une ressource de qualité encore insuffisamment exploitée.
Pour le « rupin aux morilles » comme pour le « tartare de friqué » ou le « l’héritier en gratin », il vous faut des produits frais du jour. Réservez vos restes de vieux riche pour vos bourguignons de PDG ou vos pot-au-feu à la sauce vieux-rentier. Les amateurs de gibier apprécient le banquier en civet sauce Larcher, tout comme la cuisse de nanti en marinade. C’est un plat d’automne réputé, qui exige de faire courir le nanti afin de le raffermir pendant quelques jours. On le sert avec des châtaignes aux petits lardons de Picsou, dégraissé au jus de gavé.
Insatiable, le gavé est apprécié pour son foie gras obtenu comme pour le canard ou l’oie, sauf que le gavé se gave tout seul sans entonnoir, ce qui est apprécié par les personnes sensibles à la souffrance animale. Mets raffiné, il s’accompagne d’un Madère ou, mieux, d’un pineau des Charentes également très apprécié avec le Bernard Arnault en hachis ou le boudin de Bolloré spécial fêtes.
Nous espérons que ces brèves suggestions vont vous aider à réussir joyeusement vos fêtes. Pour aller plus loin, nous vous rappelons le pamphlet célèbre du grand Jonathan Swift (1667-1745) publié en 1729, Modeste proposition pour éviter que les enfants des pauvres ne soient une charge pour leurs parents ou leur pays, et pour les rendre utiles au public [4]. Nous reprenons cette idée de l’illustre écrivain en suggérant de l’appliquer aux riches qui parasitent l’humanité toute entière alors qu’il suffit de les inviter à notre table sous les formes que l’art culinaire a inventées, afin, comme dit Swift, de « les rendre utiles au public ».
Ne l’oublions pas, la France est le seul pays au monde qui a le mot « égalité » dans sa devise nationale.
Bonnes fêtes et bon appétit !
Daniel Mermet
La lettre hebdo de Daniel Mermet, 28 novembre 2025 / LA BAS SI J’Y SUIS
Notes
[1] Institut national de la statistique et des études économiques, France. Portrait social, Montrouge, 2025.
[2] Denis Cosnard, « Inégalités : la sidérante envolée des revenus des ultrariches », Le Monde, 18 novembre 2025.
[3] Claire Ané, « La pauvreté et les inégalités au plus haut depuis trente ans », Le Monde, 07 juillet 2025.
[4] De même que La Cuisine cannibale du génial et irrécupérable Roland Topor.
