Le 25 avril 1974 à minuit vingt, Rádio Renascença diffuse Grândola, vila morena, chanson de Zeca Afonso, interdite par la dictature portugaise. Elle est le point de départ de la Révolution des œillets par le Mouvement des forces armées (MFA) commandé par les Capitaines d’Avril qui mit fin à 41 années de dictature fasciste, instaurée en 1933 par António de Oliveira Salazar, perpétuée depuis 1968 par son successeur Marcelo Caetano.
Une révolution bien particulière, provoquée par de jeunes officiers, réalisée pratiquement sans effusion de sang (un mort, quelques blessés lors de la résistance de membres de la PIDE, la redoutée police politique de la dictature). Les dirigeants des partis politiques en exil peuvent rentrer triomphalement au Portugal. Un an plus tard les premières élections libres ont lieu.
À Lisbonne, le 1er mai 1975 (une semaine après le soulèvement militaire), avec son énorme défilé et son soutien affiché à la Junte de salut national – qui dirige provisoirement le pays – confirme le plébiscite populaire du 25 avril et la fraternisation entre soldats et civils. Il consacre aussi une volonté de changements profonds aux plans économique, social et politique.
Alors que les mobilisations sociales se multiplient, les salariés se syndiquent par milliers et participent à des comités de travailleurs pour réclamer hausses des salaires, congés payés, réduction du temps de travail. Ils imposent parfois l’autogestion dans un contexte qui favorise un bouleversement radical du rapport de force entre patrons et employés. Au sud, dans les campagnes déshéritées de l’Alentejo, les ouvriers agricoles occupent les latifundia laissés en friche par les grands propriétaires et fondent des coopératives.
Le soulèvement militaire devient révolution, ou plutôt un « processus révolutionnaire », qui durera près de deux ans et sera à l’origine des nombreuses « conquêtes d’avril ». Organisation d’élections libres, libertés syndicales et d’association, création du salaire minimum, égalité des droits pour les femmes, droit à la santé, à l’éducation, à la sécurité sociale… Sans parler de la fin des guerres coloniales ou des nationalisations dans les secteurs bancaires, des assurances et de l’industrie. (Avec le journal l’Humanité)
La Révolution des œillets ouvrait une ère de liberté, de démocratie et de conquêtes sociales inédites.
Les œillets ne fanent pas… 15 février 2013
Si certains, au Portugal (ici aussi !), pouvaient penser, quarante ans après, que cette chanson était à ranger dans le tiroir des vieilleries révolutionnaires, ils devront déchanter.
Le 15 février 2013, le Premier ministre, Pedro Passos Coelho, est à la tribune du Parlement portugais. Il tient le discours formaté des dirigeants européens. Athènes, Madrid, Londres, Berlin, Paris, Lisbonne, partout c’est pareil, austérité, austérité, austérité
Soudain, un murmure, une chanson qui enfle, emplit l’hémicycle. Une trentaine de militants chantent Grândola, vila morena.
Depuis cette date, la chanson est (re)devenue l’hymne de millions de Portugais qui la reprennent en un choeur immense dans les manifestations pour protester contre les politiques d’austérité sauvage qui saignent le pays…
Grândola, vila morena
Grândola ville brune, Terre de fraternité
C’est le peuple qui commande, en ton sein ô cité
En ton sein ô cité, c’est le peuple qui commande
Terre de fraternité, Grândola ville brune
À chaque coin de rue un ami, sur chaque visage l’égalité
Grândola ville brune, Terre de fraternité
Terre de fraternité, Grândola ville brune
Sur chaque visage l’égalité, c’est le peuple qui commande
À l’ombre d’un chêne vert, qui ne connaissait plus son âge
J’ai juré d’avoir pour compagne, Grândola ta volonté
Zeca Afonso
L’auteur de la chanson : José Manuel Cerqueira Afonso dos Santos, connu du public sous le nom de Zeca Afonso (1929-1987), est un auteur-compositeur révéré au Portugal. Enseignant, écrivain, chanteur, poète et militant, il composa Grândola, vila morena en 1971. Cette chanson figure sur l’album Cantigas do Maio (Chansons de mai – une cantiga est une poésie chantée), enregistré en France la même année.
Écouter Grândola vila morena