Pauvres paysans et français fainéants

On a pu lire dans le JHM du 12 mai dernier un billet d’humeur digne des pires dérapages réactionnaires d’Eric Zemmour.
Regrettant les difficultés de recrutement des producteurs français d’asperges ou de fraises pour effectuer leurs récoltes, l’auteur de l’article constate qu’il a fallu faire appel à de la main d’œuvre étrangère (bulgare, polonaise, roumaine…) et il en tire des conclusions pour le moins effarantes. Précisant que «ces métiers sont des métiers manuels, difficiles qui s’effectuent dans des conditions de travail souvent pénibles parce qu’en extérieur ou sous serre, au chaud, au froid, ou dans l’humidité, voici ce qu’il ose écrire : «Chose insupportable pour des Français habitués à être chouchoutés, à grands coups d’aides sociales. Ainsi les Français sont le peuple au monde qui a le plus décroché de leur travail pendant le confinement (sic). Pas très étonnant. Il se peut même qu’ils se complaisent dedans et qu’il faille leur ordonner d’aller travailler pour remettre la machine économique en route».
Cliché pour cliché, devons-nous parler de ces caricatures de paysans pratiquant l’agriculture intensive, destructeurs de biodiversité, appauvrisseurs de terres, mais enrichis à grands coups de subventions ? Ceux-là, que le JHM soutient trop souvent, existent au moins autant que les profiteurs d’aides sociales indues. Il serait d’ailleurs intéressant que le quotidien local nous dise quelle est de ces deux catégories, celle qui coûte le plus cher aux finances publiques.
Mais revenons à nos producteurs de fruits et légumes dont les conditions de récoltes sont si difficiles. Il y a fort à parier que même les plus honnêtes songent rarement à offrir une rémunération supérieure au SMIC. Et quand le journaliste déplore que, sur 10 Français venant effectuer les récoltes 7 ne finissent pas la semaine, a-t-il cherché à connaître les conditions (de logement et de sécurité sanitaire par exemple) dans lesquelles on les fait vivre jour après jour ?
Il est pour le moins mal venu de les comparer à des étrangers qui gagnent trois fois moins chez eux et qui n’ont pas les moyens de repartir en cours de campagne. Ces derniers, qui n’ont pas le choix, sont à plaindre. Surtout pas à montrer en exemple.
Le JHM se rend-il compte de l’importance de vivre dans un pays où les citoyens cherchent encore à préserver leur dignité ? Comprend-il aussi la richesse d’une société qui ambitionne de protéger ses membres ?
Et qu’il aille voir, même en Angleterre, les dégâts causés par le coronavirus sur les populations qui, faute de protections sociales, ont été obligées de travailler ! Qu’il se renseigne sur la catastrophe économique subie par les pays ne pratiquant pas le chômage partiel ! Qu’il enquête aussi sur les conditions sanitaires proposées dans
certaines entreprises (comme Amazon, par exemple), avant de blâmer ceux qui refusent de reprendre le travail ! Et qu’il veuille bien avoir l’honnêteté de reconnaître que très rares sont les personnes capables de se complaire dans un confinement !
On verra que sur les plans médical, social et économique la France se sera sortie de la crise bien mieux que beaucoup d’autres nations. Et s’il y aura tout de même beaucoup à lui reprocher, ce ne sera certainement pas pour son excès d’aides sociales, mais au contraire par ses reculs (devenus ici flagrants) dans le domaine de la protection de ses citoyens. De plus en plus d’économistes et de politiques s’en rendent compte. Mais pas encore visiblement les grands penseurs du JHM.