Mayotte : « On a rien vu, on a vu personne « 

MAYOTTE

« On n’a rien, on n’a vu personne ». Après le cyclone Chido, la catastrophe sanitaire s’aggrave

Les ravages du cyclone Chido laissent craindre une catastrophe sanitaire d’ampleur, due au manque d’eau mais aussi de soins, entretenu par les politiques coloniales de l’Etat. Sur place, les habitants témoignent.

Louise Altaï

23 décembre 2024

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« On n'a rien, on n'a vu personne ». Après le cyclone Chido, la catastrophe sanitaire s'aggrave

Le deuil national décrété par Macron en toute hypocrisie ce lundi ne fera pas oublier la responsabilité de l’État dans la crise humanitaire d’ampleur qui touche Mayotte. Une semaine après le passage du cyclone, les opérations de recherches et de secours n’ont pas encore été déployées dans la majorité de l’île, et la mort de milliers de personnes encore sous les décombres tend à se confirmer. Entre le manque d’accès à l’eau, l’électricité, et aux distributions alimentaires pour la majorité de l’île, la situation tourne véritablement au cauchemar.

« Pas d’électricité, pas d’eau, pas de soins » : une situation sanitaire chaotique

« Le nord de l’île est totalement déconnecté depuis le passage du cyclone : pas d’électricité, pas d’eau, pas de réseau, zéro ravitaillement, pas de soins, aucun secours, pas de magasin ouvert, pas de carburant. Les gens vont puiser dans les ruisseaux pour avoir un peu d’eau (utilisation dans les toilettes, mais aussi consommation cuisine…). Nos enfants commencent à tomber malade (fièvre, diarrhée…) et pas de soins !  » Le témoignage de Nadhirou, habitant de la commune de Mtsamboro, en dit long sur l’ampleur de cette situation sanitaire catastrophique. La zone, dans le nord-ouest de l’île, a été touchée de plein fouet par le cyclone.

A rebours des discours officiels, des dizaines de témoignages recueillis par Révolution Permanente alertent sur l’absence totale d’accès à l’eau dans de nombreux villages.

Aujourd’hui, les réseaux d’alimentations, déjà dysfonctionnels, ont été en partie détruits ou rendus inaccessibles par le passage du cyclone. Les rampes d’eau et les bornes fontaines dont dépendent une bonne partie de la population sont elles aussi alimentées au rabais, voire totalement coupées. Une situation qui contraint de nombreuses familles à utiliser l’eau polluée des rivières, des puits ou de l’eau de mer pour s’hydrater, cuisiner, ou encore se laver. Hairiya, étudiante et habitante d’un quartier de Kaweni dans la banlieue de Mamoudzou, totalement soufflée par le cyclone, témoigne : « On n’a pas eu de distributions, ni d’eau, ni de nourriture. Pour l’eau, il nous reste des puits, donc on puise l’eau. On ne sait pas quand on aura de l’aide, avec les problèmes de réseau, nous n’avons aucune nouvelle. »

Même avant Chido, plus de 30% de la population n’avait pas accès à l’eau potable. Cela fait des décennies que les infrastructures manquent pour répondre aux sécheresses. De leurs côté, les opérations policières anti-immigrés comme Wuambushu en 2023 et Place Nette en 2024 sont responsables, selon l’association Solidarité international, « d’une augmentation des entraves dans l’accès à l’eau potable en raison de la présence policière accrue à proximité des infrastructures d’accès à l’eau ». Un précédent qui laisse craindre le pire, face à la gestion ultra-sécuritaire et répressive de la catastrophe par l’État, qui n’a fait qu’enchaîner déclarations racistes et xénophobes, renforcement considérable des forces de l’ordre, et outils répressifs coloniaux, à l’image du couvre-feu instauré depuis quelques jours ou l’annonce d’une loi spéciale pour Mayotte.

Aujourd’hui, la situation laisse craindre, selon Julien BOUSSAC, coordinateur de Médecins du Monde à Mayotte « un risque de propagation d’épidémie qui est très fort », à l’image de celle du choléra qui a touché l’île cette année et qui trouvait aussi racine dans la crise structurelle d’accès à l’eau depuis 2023. Cette gestion de l’épidémie par les autorités de santé publique avait été largement, selon plusieurs travailleurs associatifs de l’île « inadaptée pour les personnes les plus précaires et isolées des soins, au regard de la dissuasion de consulter un médecin par peur de la répression d’Etat et des contrôles policiers nombreux aux abords des lieux de soins et sur l’ensemble de l’île »

Hairiya souligne l’isolement dans son quartier depuis le passage du cyclone : « On n’a rien, on n’a vu personne. Aucun soignant, personnes pour répertorier les personnes… L’Etat nous a complètement oublié, Mayotte entière a vécu une catastrophe, mais une partie de la population va devoir se relever seule, sans l’aide de l’Etat, car ils n’ont aucun intérêt à nous aider, nous les personnes pauvres. On s’entraide entre nous mais on est désespéré. » Là ou les distributions alimentaires sont en cours, comme dans les communes de Pamandzi et Labattoir en Petite-Terre, elles sont largement insuffisantes : des témoins affirment avoir reçu juste une ou deux bouteilles d‘eau par famille. Ces maigres distributions sont aussi conditionnées à la présentation de documents d’identité, excluant de fait une large partie de la population qui concerne majoritairement les personnes sans papiers, mais aussi les populations pauvres qui ont tout perdu.

La population s’est alors auto-organisée sans attendre l’État et les initiatives d’entraide et de solidarité entre habitants ont fleurit, à l’image des bénévoles de l’association Nayma qui sillonnent plusieurs bidonvilles détruits de Mamoudzou, de Tsararano ou encore de Sada pour distribuer des pastilles de chloration de l’eau et des soins. Une cellule de crise citoyenne s’est mise en place, regroupant presque un millier d’habitants, et a déjà organisé la distribution d’eau potable et de nourriture pour 700 familles de Petite-Terre.

Accès aux soins : entre dégradations du CHM et manque de soignants

Au manque d’accès à l’eau se rajoute l’accumulation des déchets, décuplant les risques sanitaires. Le système de santé est déjà en état dégradé : L’île est en effet en tête des déserts médicaux, et souffre d’un manque criant de soignants. Ils s’étaient mis en grève il y a plusieurs mois pour alerter sur l’état des services et demander des renforts, alors que seuls 5 postes sur 44 étaient pourvus aux urgences par exemple

Avec une capacité de 582 lits, soit à peine 40% de la moyenne hexagonale ou l’équivalent de 1,6 lit pour 1000 habitants, l’offre de soins est drastiquement limitée tout comme le plateau technique. Cela explique la dépendance et le recours indispensable au système de transferts et d’évacuations sanitaires de patients vers La Réunion pour accéder aux nombreux soins indisponibles sur l’île.

Avec le cyclone, le principal hôpital de l’île, le centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), déja en plan blanc depuis plus d’un an, a été durement touché. Il fonctionne désormais à seulement 50% de ses capacités, plusieurs de ses services ont été inondés et sont inutilisables à l’heure actuelle et 70 % du stock de médicaments a été détruit. Des conditions de travail éprouvantes et drastiquement dégradées, que rappelaient les soignants à Macron lors de sa visite devant le CHM. : « Tout le monde, de la direction jusqu’au secrétariat, on rentre, on est KO. » « Aujourd’hui les gens se battent pour avoir de l’eau. » « Il y a un risque sanitaire qu’il faudra traiter en urgence… il pourrait y avoir une épidémie, dû aux cadavres sous les décombres. »

Le gouvernement a communiqué un plan d’action pour faire face à l’urgence sanitaire, comprenant notamment un renfort en ressources humaines, le renforcement des évacuations sanitaires, et l’installation d‘un hôpital de campagne et d’une unité sanitaire mobile (USM). Mais sa mise en oeuvre sur place présente déjà de nombreuses limites à l’image de l’hôpital de campagne dont les capacités s’avèrent d’ores et déjà limités, avec « une centaine de lits seulement et sept opérations par jour possibles uniquement » selon un soignant mobilisé au sein de cette structure.

De même, l’appel aux renforts professionnels, pourtant essentiel face à la pénurie de soignants, se heurte à de nombreux obstacles et procédures administratives qui retardent l’arrivée des renforts sur place, situation qui indigne Aurélie, infirmière syndicaliste de Vannes et inscrite à la réserve sanitaire, toujours en attente malgré sa demande : « Je suis en colère, je n’ai pas de retour, et personne ne répond à mes appels. Énormément de documents sont à fournir, comme par exemple un certificat médical signé par un médecin traitant, ce qui retarde encore la procédure qui est soumise à l’autorisation de ton établissement de quitter ton poste si tu es pas en congés. Les ARS ne font aucune communication sur ce qui se passe à Mayotte et sur l’urgence d’envoyer de l’aide ni communication dans les établissements de santé. C’est un scandale, alors que sur place, la situation est catastrophique. »

Face à cette situation, il est urgent d’exiger un plan d’urgence qui réponde à l’ampleur de la crise. En ce sens, le mouvement ouvrier hexagonal doit se solidariser de la situation et il doit main dans la main avec les populations sur place exiger le renfort de tous les services d’urgence, en particulier l’accès gratuit à l’eau potable, à l’électricité mais aussi aux soins pour tous sans distinction de nationalité. Un véritable plan pour les classes populaires de Mayotte passera également par la régularisation de tous les sans papiers, l’instauration d’une couverture maladie pour tous les habitants de l’île, et le retrait des forces militaires et de répression qui n’ont fait qu’entraver l’accès aux soins ces dernières années.

Louise Altaï