Couleurs fluo et ce ton direct propre à la technique de la sérigraphie. Ni ombre ni perspective. Un homme lilas, bicyclette verte,  fusil cyan, horizon orange sanguine. Et un mot, un simple mot, prénom ou interpellation ? Manu. La typo est manuscrite. L'artiste est avare de mot et n’aime pas le superflu.


On reconnaît immédiatement le style de Michel Quarez. La sérigraphie a été dessinée pour le 10ème congrès de l'UCR-CGT qui se tient à Saint-Etienne du 24 au 28 mars 2014. Vert, fusil, cycle si cela évoque évidemment Manufrance, d'autres images nous assaillent, se mêlent aux luttes menées pour la sauvegarde de l'entreprise. Celle d'un maquisard, d'un résistant, un guerillero.

On dit Manu, par tendresse et affection. Le suffixe France est passé aux oubliettes. Une incivilité ? Certainement pas. Manu comme pour marquer (peut-être ?) l'universalité et la permanence du combat pour l'émancipation ouvrière.
En travaillant avec un affichiste, peintre, la CGT-Retraités renoue avec une longue tradition du syndicalisme révolutionnaire : le signe, la couleur et le mot, pour dire et transformer la réalité...


Nos lecteurs peuvent se procurer cette sérigraphie, numérotée et signée au prix de 20 €

Une sérigraphie

de Michel Quarez

Éluard a intégré le temps de l’histoire"

NICOLAS DUTENT

JEUDI, 18 DÉCEMBRE, 2014

L'HUMANITÉ

La Société des amis de Paul éluard vient d’être créée alors qu’on fête le 70e  anniversaire d’ "Au rendez-vous allemand".



Photo : Roger Viollet

 

«En plein mois d’août un lundi soir de couleur tendre / Un lundi soir pendu aux nues / Dans Paris clair comme un œuf frais / En plein mois d’août notre pays aux barricades / Paris osant montrer ses yeux / Paris osant crier victoire / En plein mois d’août un lundi soir. » Il y a soixante-dix ans retentissaient ces vers de Paul Éluard, extraits d’Au rendez-vous allemand, achevé d’imprimer le 15 décembre 1944 sur les presses d’Ernest Aulard. C’est la force d’un cri et la beauté du souffle qui traverse ce recueil solaire auquel était rendu un hommage vibrant, lundi dernier, dans l’enceinte prestigieuse du lycée Montaigne, à Paris. Pour cet anniversaire, « comme l’aurait voulu Éluard », ont été convoqués « des jeunes », plusieurs classes studieuses, et la grande famille. Des héritiers directs et indirects. La famille naturelle bien sûr – Claire, Pierre et Michel, les petits-enfants de Paul Éluard – et les passeurs – poètes et spécialistes du genre –, dont Olivier Barbarant et Jean-Pierre Siméon, ainsi qu’Irène Lindon, directrice des Éditions de Minuit, qui ont popularisé le titre dans l’immédiat après-guerre.

Au centre des échanges, un grand témoin, Madeleine Riffaud

Des cohortes de lycéens jaillissent des couloirs, assiégeant le grand amphithéâtre. Claire Sarti, petite-fille du poète, ouvre le bal. « C’est la première manifestation depuis le lancement de la Société des amis de Paul Éluard », se félicite l’organisatrice. Cette association « dont les statuts sont parus au Journal officiel (JO) il y a une dizaine de jours, nous confie-t-elle, aurait dû voir le jour il y a longtemps. Elle veut favoriser l’étude d’Éluard, réveiller un intérêt ». La nouvelle officialisée, les intervenants témoignent tour à tour de la réception des textes d’Éluard qui parlent à l’intime. Au centre des échanges, un grand témoin, Madeleine Riffaud : figure des FTP et grand reporter à l’Humanité. Du haut de son parcours exceptionnel, la femme diserte captive l’assemblée d’où retentissent des éclats de rire. Pour Étienne-Alain Hubert, Au rendez-vous est « un livre qui a une résonance affective puisqu’il m’a été offert par ma mère, à dix ans, dans ma petite ville de province. C’était un livre arrivé à son heure. Tout comme le poème Liberté, imprimé en tract et ajouté dans la deuxième édition où les noms propres ne sont plus censurés, le risque de compromettre n’existant plus ». Au sujet de la version tirée à 5 000 exemplaires, l’éditrice Irène Lindon fait remarquer que « les feuilles ont été assemblées et brochées dans une cuisine. On manquait de papier donc on a trouvé une rame de papier bleu ».

"Les poèmes d'Éluard ont été une arme pour aller plus loin"

Dans une envolée fulgurante, Jean-Pierre Siméon, directeur du Printemps des poètes, exprime « un amour profond pour éluard, éternel livre de chevet. Mes copains parlaient des Beatles, des Chaussettes noires, moi je vivais avec Desnos, Aragon, Éluard. Pour l’élève docile que j’étais, c’était comme de la contrebande. Celui qui a éprouvé tous les malheurs de son temps : une jeunesse tuberculeuse, les morts… n’a jamais cessé de parler d’amour. Couvre-feu se termine par Que voulez-vous nous nous sommes aimés. Mon amour pour Éluard est de cet ordre-là, c’est un feu qui ne s’éteindra jamais ». La salle, alerte, est maintenant suspendue aux lèvres de Madeleine. D’un geste délicat, elle présente une version clandestine et débrochée d’Au rendez-vous. Puis s’épanche : « J’ai rencontré Éluard en 1940, à seize ans. J’avais chopé moi aussi la tuberculose. Dans le centre de rétablissement, il n’y avait rien pour nous soigner mais une bibliothèque merveilleuse, magique. On est tombé amoureux, ce fut mon maître en poésie. On est entré ensemble au Front national des étudiants. Ses poèmes ont été une arme pour aller plus loin, comme un miroir de l’époque. » Avec son style mordant, la résistante précise : « On le lisait puis on le recopiait pour conserver la trace de ses poèmes, qu’on glissait dans les boîtes aux lettres. On pressait ses livres dans la forêt, un maquis dans le Lot. C’est nous, les étudiants, qui avons diffusé les premiers ses poèmes. Ça nous aidait à vivre. La nuit de ton combat sera lumière de midi, ce vers m’a propulsée dans la lutte armée ! » Tandis que Michel Murat relève que le titre de l’ouvrage désigne « une couleur du temps, gris et vert » sans esprit guerrier, Olivier Barbarant – qui s’est vu confier l’écriture d’une biographie actualisée de Paul Éluard à paraître chez Seghers – insiste sur le contexte et le statut d’écriture du recueil. Ainsi rappelle-t-il qu’« il s’agit de la fin de la poésie de la résistance, puisque, avec la libération et bien que la guerre ne soit pas tout à fait achevée, elle s’arrête sans s’arrêter.

Démonstration a été faite par Madeleine qu’on pouvait prendre un fusil et écrire des poèmes. Si on essaie d’évaluer les risques entre la participation d’Éluard aux Éditions de Minuit, sa participation aux Lettres françaises, sa distribution de tracts clandestins, son écriture, le parachutage de Liberté par l’aviation, ces risques n’étaient pas moindres que ceux de Desnos qui n’est pas revenu ». Dans une démonstration limpide et érudite, il pointe la manière dont le poète « a porté le fer à l’endroit le plus névralgique de l’histoire immédiate en écrivant sur la répression exercée sur des femmes soupçonnées d’avoir eu des relations amoureuses avec des Allemands ». Dans la foulée, Colette Guedj identifie plusieurs « actes de langage » et structures répétitives admirables, tandis que Nicole Boulestreau fait dialoguer Éluard et Bachelard sous le régime des images. La séance, émaillée de poèmes déclamés par des étudiants, a rendu palpable cette « évidence poétique miraculeuse », l’imaginaire surréaliste et insurrectionnel,
et cette ambivalence enracinée dans l’époque : « La douceur d’être en vie la douleur de savoir que nos frères sont morts pour que nous vivions libres. »